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Du sang dégoulinant d’une série de blessures infligées à la hâte, Nom Anor se présenta à la sentinelle qui gardait les quartiers privés de Tsavong Lah à bord du Sunulok.
– On m’a convoqué, déclara Nom Anor, luttant pour dissimuler son excitation, car le Maître de Guerre n’avait pas l’habitude d’inviter ses subordonnés dans son appartement privé, surtout pendant le cycle de sommeil. On m’a dit de ne pas me soucier de mon apparence personnelle.
La sentinelle hocha courtoisement la tête et posa la paume de sa main sur le pore récepteur de la valve de la porte. Le portail mit quelques instants à reconnaître l’odeur du soldat, puis il se résorba, révélant une petite chambre de contemplation éclairée doucement par les lichens bioluminescents des murs. Tsavong Lah était assis à l’autre extrémité de la chambre, absorbé dans une conversation avec un maître villip. Nom Anor, comme l’exigeait la coutume, tapa poliment du pied et attendit qu’on l’invite à entrer.
Vergere surgit de derrière un panneau et lui fit signe d’avancer.
– Il souhaite que vous assistiez à cela…
Irrité de découvrir sa rivale en ces lieux, Nom Anor fit le tour de la table pour regarder par-dessus l’épaule du Maître de Guerre. Le villip présentait à présent le visage d’une femme humaine, aux pommettes saillantes et aux traits secs. Nom Anor sentit son irritation se dissiper, car il connaissait très bien la femme en question. Il l’avait lui-même ralliée à la cause des Yuuzhan Vong.
–… vois que vous avez utilisé les vornskrs que je vous ai envoyés à bon escient, était en train de dire Viqi Shesh. Quatre Jedi sont déjà morts. Vos voxyns sont vraiment très efficaces.
– Nos voxyns ? Comment savez-vous qu’ils s’appellent ainsi ?
Shesh écarquilla légèrement les yeux, mais avec suffisamment de subtilité pour que le Maître de Guerre ne remarque pas sa surprise.
– C’est comme cela que les Jedi les appellent. Je ne sais pas comment ils ont découvert leur nom. Il devient de plus en plus difficile de leur arracher la moindre information sur ce sujet.
– Tiens donc ? demanda Tsavong Lah, pensif. Comme c’est intéressant…
Vergere stupéfia Nom Anor en touchant le bras du Maître de Guerre.
– Votre agent est arrivé.
Tsavong Lah ne la frappa pas. Il ne lui fit aucune remarque, ni aucune réprimande de quelque sorte. Il demanda à Shesh de patienter et se tourna vers son « agent », comme Vergere venait d’appeler Nom Anor, de façon si péjorative. Il étudia les taches de sang qui souillaient sa tunique de soie.
– Mon appel a interrompu tes dévotions, dit-il,l’air vraiment désolé. Mais peut-être puis-je arranger cela.
Tsavong Lah surprit Nom Anor encore une fois. Le Maître de Guerre se leva et alla chercher – lui-même ! – une chaise de ronces à l’autre bout de la pièce. Il posa le siège face au villip de Shesh et fit signe à son invité de venir s’y asseoir. L’absence de croûtes de sang séché signifiait que le dernier repas de la chaise avait été fort peu satisfaisant. Mais hésiter en un instant pareil aurait été considéré comme une insulte. Nom Anor s’installa et sentit les aiguillons affamés du siège s’enfoncer dans la chair de son dos et de ses fesses. Il se consola en se disant que le Maître de Guerre devait être persuadé qu’un tel supplice lui serait agréable.
– Je suis très honoré, dit-il.
Tsavong Lah retourna au villip.
– Viqi, j’ai là, avec moi, un de vos vieux amis.
– Vraiment ? répondit Shesh. (Elle n’avait pas pu voir Nom Anor entrer dans la pièce. Son villip n’était relié qu’au Maître de Guerre, et seulement à même de relayer son image et sa voix.) Et qui est là ?
– Je suis sûr que le nom de Pedric Cuf vous dit quelque chose, non ? demanda Tsavong Lah, utilisant le pseudonyme sous lequel Shesh connaissait Nom Anor.
Le sourire qui apparut sur le villip fut loin d’être sincère. A la première occasion qui s’était présentée, Viqi avait aussitôt décidé de se passer de l’intermédiaire de Nom Anor pour proposer directement ses services au Maître de Guerre.
– Quelle bonne surprise…
– Viqi, veuillez répéter ce qui s’est passé aujourd’hui. (Tsavong Lah ne donna à Nom Anor aucune chance de répondre au salut du sénateur Kuati.) Il faut que Pedric Cuf entende tout cela.
Viqi, obéissante, raconta ce qui s’était déroulé dans la salle du comité quelques heures auparavant, mettant l’accent sur le plan de Jacen visant à dresser une embuscade contre le blocus de Talfaglio. Elle insista – peut-être un peu trop longtemps – sur son habileté à manipuler Borsk Fey’lya en le poussant à demander l’avis des militaires, laissant ainsi le temps aux Yuuzhan Vong de se préparer à déjouer ladite embuscade.
– Je pense que vous disposez de deux semaines, tout au plus, termina Shesh. Je vous tiendrai informés.
– Vous avez bien agi, dit Tsavong Lah. (Nom Anor savait qu’ils disposaient déjà d’une flotte de réserve pour ce genre de situation.) Mais racontez donc à Pedric Cuf ce que vous m’avez dit à propos de l’émissaire, Viqi.
Si elle savait que, en ne prononçant que la moitié de son nom, Tsavong Lah se montrait offensant à son égard, Viqi Shesh n’en laissa rien paraître.
– Il y a eu des inquiétudes à propos du temps requis pour obtenir un avis de l’armée. J’ai donc persuadé Borsk Fey’lya de demander qu’on lui envoie un émissaire. (Son villip sourit.) Il n’a pas vraiment l’intention de vous dire quoi que ce soit, mais je l’ai convaincu que cette demande pourrait peut-être mettre les otages à l’abri, le temps que les militaires en aient fini avec leur étude.
– Très malin, dit Tsavong Lah. Vous nous faites gagner un temps précieux. Laissons-les croire que ce sont eux qui patientent et pas nous. Vous êtes très douée, Viqi. Le jour de notre victoire, votre récompense dépassera votre imagination. Avez-vous besoin de quelque chose dès maintenant ?
– Juste le financement nécessaire.
– Vous allez l’avoir. Et plus encore, promit le Maître de Guerre. Par les canaux habituels, bien entendu.
Tsavong Lah interrompit la communication en tapant sur le dessus du villip. Puis il se tourna vers Nom Anor après que la créature fut redevenue une boule inerte gélatineuse.
– Celle-là, elle commence à m’irriter, gronda-t-il. Elle me prend pour un imbécile.
– Les humains n’ont pas leur pareil pour se mettre toujours en pleine lumière, dit Nom Anor, inquiet à l’idée que la colère du Maître de Guerre puisse retomber sur lui dans la mesure où il était responsable du recrutement de Viqi Shesh. Mais ils sont apparemment incapables de discerner la taille de l’ombre qu’ils projettent.
– C’est bien dommage pour toi, Nom Anor, non ? dit Tsavong Lah.
Nom Anor se pencha en avant, réfrénant un cri de douleur en sentant les épines de la chaise s’arracher de son dos.
– Pour moi, Maître de Guerre ?
Tsavong Lah hocha la tête.
– Dis-moi, crois-tu vraiment ce qu’elle nous raconte à propos du Bothan ? Tu penses qu’il n’a vraiment pas l’intention de s’entretenir avec nous ?
– Pas plus que je ne crois que c’est bien elle qui l’a persuadé de demander qu’on lui envoie un émissaire, répondit Nom Anor. Borsk Fey’lya désire réellement nous parler et Viqi Shesh craint, justement, qu’il n’ait effectivement quelque chose à nous faire entendre. Elle cherche seulement à se protéger.
– Nous pensons donc de la même façon sur ce sujet. Nom Anor, dit le Maître de Guerre. Encore une bonne raison pour me pousser à te demander de retourner chez ces infidèles.
– Lui ? demanda Vergere.
Nom Anor lança un regard noir à la créature couverte de plumes.
– Et qui d’autre ? Peut-être songiez-vous à y aller à ma place ?
Vergere baissa les bras.
– Mon objection n’était qu’une forme d’éloge, Nom Anor. Vous avez causé énormément de dégâts à la Nouvelle République. Borsk Fey’lya, même s’il le voulait, ne pourrait pas s’entretenir avec vous. Le Sénat exigerait immédiatement sa démission.
– Vraiment ? (Tsavong Lah sourit de façon malicieuse puis se tourna vers Nom Anor et fit un geste en direction de la chaise de ronces.) Tiens, pour tes loyaux services, mon ami. Considère ceci comme un cadeau.